La hyène, la bécane et le baobab
Ce jour-là, l'hyène se promenait dans la brousse sous le chaud soleil d'Afrique. Elle allait, venait et courait, reniflait, grognait, s'arrêtait, grognait encore et repartait. Elle faisait tout ce que fait d'ordinaire une hyène qui se promène dans la brousse. Mais elle grognait plus que d'ordinaire parce qu'elle avait faim et ne trouvait rien à manger.
Tout à coup, elle vit dans une clairière, à trois pas d'elle, quelque chose que tu n'as jamais vu et que tu ne verras sans doute jamais, quelque chose d'extraordinaire. C'était un arbre plus gros et plus haut qu'une tour, avec une écorce épaisse et si curieusement fendillée qu'elle ressemblait à un visage. On distinguait très bien deux gros yeux noirs et profonds, un nez écrasé, une bouche largement ouverte comme la gueule d'un fou.
Dans cet étrange visage, rien ne paraissait vivre, ni les yeux, ni la bouche. Et cependant, on était sûr que l'arbre vous regardait : sa gueule d'écorce effrayait comme celle d'un animal redoutable. Et, ce qui est plus surprenant encore, c'est que, de cette sorte de bouche une plainte s'échappait sans cesse, lugubre et menaçante, comme le hurlement d'un loup le soir dans la montagne.
Quand l'hyène entendit cette plainte, elle resta un instant immobile, figée de stupeur. Puis elle s'écria :
"Oh ! Un arbre qui parle !!!"
A peine avait-elle prononcé ces mots que… PAN ! Elle sentit un grand coup sur sa tête et tomba évanouie. L'arbre avait allongé une branche comme un poing gigantesque et l'avait assommée.
Elle resta longtemps évanouie. Quand elle reprit connaissance, le soleil allait disparaître là-bas, de l'autre côté de la terre et la nuit se préparait à venir. L'arbre était là, tout près : "Ouille ! Ouille!" faisait-il et toutes les autres plantes, dont le vent agitait les feuilles, paraissaient frissonner de terreur.
L'arbre géant étendit une branche, saisit l'hyène, l'approcha de sa gueule d'écorce. L'animal, épouvanté, entendit une voix caverneuse qui lui disait :
"Hyène, te voilà enfin réveillée ! Eh bien, écoute-moi et rappelle-toi ce que je vais te dire. Tout animal qui, en passant près de moi, crie "Un arbre qui parle!" tombe mort à l'instant. Pour cette fois, j'ai bien voulu te pardonner. Va t'en. Et si un jour tu passes encore auprès de moi, tâche d'oublier que je suis doué de parole."
L'hyène ne se le fit pas dire deux fois. Dès que la branche l'eut lâchée, elle s'enfuit au galop. Quand elle fut bien loin de l'arbre, elle s'arrêta, s'allongea sur le sol, se frotta la tête car elle avait encore mal et grogna :
"Maudit arbre ! Par ta faute, ma journée est perdue : j'ai la tête lourde et l'estomac vide !"
Puis elle se mit à penser, à penser encore pour trouver dans sa pauvre cervelle le moyen de manger, car la faim la tourmentait. Elle se dit : "J'avais tort de me plaindre de cet arbre. C'est lui qui me donnera le moyen de bien manger. Grâce à lui, je n'aurai plus faim demain, ni après-demain, ni aucun des jours qui viendront…"
Au matin, l'hyène alla trouver la biche.
"Me voici ! répondit la biche.
-Je veux te montrer une chose que tu n'as jamais vue et que ton père a toujours ignorée, ainsi que le père de ton père.
-Mais quoi donc ?
-Un arbre qui parle.
-Tu te moques de moi, Hyène. En vérité, Hyène, tu te moques de moi.
-Par la bouche de ma mère, Biche, je te jure que je puis te montrer un arbre qui a de la voix, comme toi et moi. Mais à une condition…..
-Laquelle ? demanda la biche.
-C'est que, lorsque tu le verras, tu devras crier bien fort : "Oh, voilà un arbre qui parle !". Si tu ne le dis pas, l'arbre sera vexé et il te frappera de ses branches.
-Très bien, partons Hyène !
Elles ne tardèrent pas à arriver toutes deux dans la clairière. Quand la biche vit un arbre gros comme une tour, qui avait une sorte de visage et qui hurlait comme un loup, elle s'écria stupéfaite :
"Oh, un arbre qui parle !"
A peine avait-elle prononcé ces mots que… pan ! Elle tomba assommée. L'hyène se jeta sur elle et la dévora. L'hyène conduisit ainsi dans la clairière, et dévora successivement la gazelle timide et tremblante, le rat palmiste vif comme un écureuil,
le mouton étourdi et nigaud, le phacochère au poil plus rude que celui du sanglier, le buffle lui-même qui ne craint personne. Et c'est justement quand elle s'en allait vers l'arbre, en compagnie du buffle, que la bécane, curieuse comme à son ordinaire, la suivit en se cachant.
Elle fut bien étonnée, elle aussi, en voyant un arbre si étrange, mais plus étonnée encore par la ruse de l'hyène. "Ah ah… méchante bête, pensa-t-elle. Si on la laisse faire, elle dépeuplera la brousse entière. Mais attends un peu, la bécane est plus maline que toi !!!"
Le lendemain, quand l'hyène repartit dans la brousse pour chercher une nouvelle victime, la bécane vint se mettre sur son chemin. Lorsque l'hyène la vit, elle reprit le même discours qu'elle avait tenu aux autres animaux. Elles se rendirent dans la clairière. La bécane remua l'une après l'autre ses grandes roues à rayons.
"Que faudra-t-il dire exactement ? Répète, Hyène, car tu sais bien que j'ai le cylindre dur et ma mémoire n'est pas solide !
-Quand tu verras l'arbre géant, reprit l'hyène, tu crieras bien fort : " Oh, un arbre qui par… ! "
Et l'hyène comprit trop tard la ruse de la bécane.
Fin
Montages réalisés à partir de photos personnelles