Et si on lisait ?
Jean Hougron et l'Indochine (1er Partie)
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Pour les amateurs de vraie aventure à l'ancienne, celle qui fait rêver.
Né le 1er juillet 1923 à Mondeville près de Caen, jeune professeur d’Anglais à Dreux, rien ne laissait prévoir sa lumineuse existence indochinoise. Le hasard l’envoya en 1947 à Saïgon pour une maison d’Import-Export. Il avait 24 ans. Il s’ennuie vite, écrit-il à vendre des sardines à la tomate et du fromage australien en boîte à des Chinois obèses et très rusés. "Je regardais dehors le ciel de l’Indochine et ses pistes blondes qui remontaient vers le Nord…". Jean Hougron va tout laisser tomber et partir sur les pistes, en camion, pendant quatre ans. A son retour en France en 1951, il va entreprendre une vaste fresque littéraire de près de 4000 pages, regroupées sous le titre général La Nuit Indochinoise. Son premier manuscrit, Tu récolteras la tempête sera refusé par 12 éditeurs avant d’être publié par Domat. Le succès sera immédiat. Au fil de cette vaste Comédie Humaine asiatique, Jean Hougron mettra en scène toute une galerie de personnages “blessés et ambigus, humiliés et ratés : les petits Blancs qui par centaines vont faire la richesse de l’œuvre. Les héros n’y sont jamais complètement des héros et sont toujours capables du meilleur comme du pire. Le Docteur Lastin se révèlera double criminel. My Diem, l’héroïne de Soleil au ventre a été agent Viet-Minh. Le petit Couvray, révolté dans sa jeunesse, devra pourtant liquider le domaine de son père, la Terre du Barbare. Chef d’œuvre à part, Les Asiates déroute par sa forme et par ses idées. Tous les chapitres de la vie du Père sont mélanges à dessein. A-til raté sa vie, a-t-il perdu tout respect de lui-même pour l’amour des femmes indigènes ou bien a-t-il au contraire rejeté toute hypocrisie sociale pour mener une vie sans mensonges ? Jean Hougron ne retourna jamais en Indochine dont il avait su peindre les dernières années d’avant la tourmente. Mais il répètera jusqu’à la fin que les quatre années qu’il y avait passées, étaient les plus belles de sa vie. En postface, il nous a paru intéressant de joindre le témoignage d’un contemporain de Jean Hougron à Saïgon dans les années 50 : "Tout le monde aboutit au Club de la presse. Tel ce braillard, qu’on a relégué dans le coin le plus lointain, tellement il est fou. Il n’a pas grand chose pour plaire, râblé presque nain, il ne parle que de cul, il est mythomane. Il souffre de sa petitesse et sa manie est de défier quiconque est grand. On ne sait pas grand chose de lui, sauf qu’il a été au Laos un peu professeur, un peu tout, vivant à la traîne, à la petite aventure. A Saïgon, il s’est casé à la Radio. Il y travaille petitement, misérablement. Pourtant, c’est ce ‘pauvre mec’ qui va se révéler un génie. Car tout le côté sordide de l’Indochine, où il se vautre, il va le rendre admirablement, avec grandeur, avec pitié même. C’est le romancier H....". Ces lignes édifiantes se trouvent dans le livre L’Humiliation, signé Lucien Bodard.
François Doré - Librairie du Siam et des Colonies
Congo Requiem de Jean-Christophe Grangé

Résumé :
"On ne choisit pas sa famille mais le diable a choisi son clan. Alors que Grégoire et Erwan traquent la vérité jusqu’à Lontano, au cœur des ténèbres africaines, Loïc et Gaëlle affrontent un nouveau tueur à Florence et à Paris. Sans le savoir, ils ont tous rendez-vous avec le même ennemi. L’Homme-Clou. Chez les Morvan, tous les chemins mènent en enfer."
J'ai essayé de décrire ce roman qui fait presque 800 pages. Je n'y suis pas arrivé mais j'ai trouvé un article de 'Jeunes Afrique' qui, à mon avis, le décrit assez bien.
https://www.jeuneafrique.com/mag/349117/culture/livres-congo-requiem-lafrique-noir-noir/
Encore une fois, on sent bien que ce livre est écrit par un journaliste, c'est à dire par quelqu'un qui après quelques jours ou au mieux quelques semaines, se croit capable de décrire en détail un pays, une situation, des personnages. Alors qu'il faut des années d'observation, d'étude, d'analyse et de réflexion pour arriver à comprendre. On se retrouve très vite avec une accumulation de clichés, basés sur des détails de l'histoire (qui ont existé) ou des réflexions personnelles mais qui ne sont pas la réalité quotidienne.
J'ai bien aimé, mais il faut lire ce livre avec du recul et ne pas tout prendre pour argent comptant.
La 317e Section de Pierre Schoendoerffer

Né en 1928, Pierre Schoendoerffer a débuté sa carrière comme cinéaste aux Armées en Indochine, en 1951. Fait prisonnier à l'issue de la bataille de Diên Biên Phu, il est libéré en septembre 1954. Il mènera désormais une double carrière de cinéaste et d'écrivain. Outre La 317e Section, il est l'auteur de trois romans : L'Adieu au roi (prix Interallié), puis Le Crabe-Tambour (grand prix du roman de l'Académie Française) et Là-haut. Côté cinéma, c'est d'abord La 317e Section qui lui a valu sa notoriété, puis L e Crabe-tambour et L'Honneur d'un capitaine, entre autres. Pierre Schoendoerffer est aujourd'hui membre de l'Académie des beaux-arts.
La 317e Section, c'est le cheminement opiniâtre d'une colonne sous le ciel gris de la mousson, en Indochine, en 1953. C'est la lutte mortelle de quarante et un soldats laotiens et de quatre Européens contre la jungle, la pluie, les moustiques, les sangsues, la chaleur, le froid, la fièvre et le Viêt-minh. C'est l'usure et le désespoir des hommes, la joie brève, l'agonie des blessés, la survie ou la mort.
La 317e Section, c'est aussi l'un des plus beaux récits jamais écrits sur la guerre d'Indochine, avant d'être porté à l'écran par Pierre Schoendoerffer lui même, avec Jacques Perrin et Bruno Crémer (primé au Festival de Cannes 1965).

A l’époque où le professeur de français désespérait de nous faire apprécier les aventures amoureuses de Montaigne et de La Boetie ou les péripéties de Castor et Pollux, je suis tombé sur ce bouquin. J’avais 12 ans, je m’en rappelle encore. Sortant de la bibliothèque rose et de la bibliothèque verte (qui étaient d’ailleurs très bien pour les jeunes), j’ai compris que la vie n’était pas si simple et qu’il existait une littérature autre que la scolaire officielle qui, je l’avoue, ne me faisait pas tellement rêver.
Car ça c’était de l’Aventure, de la vraie, poussée jusqu’à son paroxysme.
Depuis, j’ai du relire la 317e Section 2 fois et j’ai vu le film 2 ou 3 fois
En 2018, l'historien britannique Antony Beevor déclare qu'il considère la 317e Section comme le plus grand film de guerre jamais réalisé.
La nuit indochinoise de Jean Hougron (Seconde partie)

En 1947 débarque au port de Saigon, au début de la guerre dite d’Indochine, un jeune Français de 24 ans d’origine normande. Six ans après, le même jeune homme reçoit le Grand Prix du Roman de l’Académie Française, en 1953.
Les personnages, souvent douteux, parfois vils, toujours pathétiques et souvent attachants, sont très bien campés : colons français, commerçant chinois ou indochinois, paysan cambodgien ou indochinois , sans omettre quelques personnages entre deux mondes, civil et le militaire, tous ces traits étant tirés de ses nombreuses notes personnelles. Et tout cela donnait une sauce qui prenait, avec des lecteurs ravis.
Nguyên Thê Anh, de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, a bien remarqué qu’Hougron parle surtout des rapports sociaux et de l’aventure entre des « héros » pathétiques, mais pas de la politique, soulignant que « le paysage est décrit minutieusement : les terres sèches et pauvres, pluvieuses, le Mékong, la luxuriance de la forêt. L’auteur préfère le village à la ville, ses indigènes mystérieux et soumis, souvent révoltés ou cruels mais humains dans leur abandon » et que « Quant aux Européens, ce sont des hommes pathétiques, intoxiqués par l’Asie...Ces personnages de peu, petits trafiquants aventureux, ratés de villages, déclassés de la ville, puisent toutefois en eux-mêmes une force nouvelle quand il n’y a plus que souffrance et doute, boue et sang ». On ne saurait mieux l’exprimer.
On retrouve les mêmes types de personnages et les mêmes situations que dans les livres de Quémeneur qui se passent en Afrique. Le style d’écriture d'Hougron est différent et plus abouti mais le fond est le même.
Tu récolteras la tempête (La Nuit indochinoise, I), Domat, 1950

Georges Lastin est médecin. Pour des raisons inconnues, il a quitté la France et s’est installé en 1945 en Indochine, dans une toute petite ville du Laos. Il y vit depuis trois ans, et soigne les populations locales, bien compartimentées.
Il y a des Français bien sûr, une soixantaine, « sans compter les militaires », des Laotiens, des Annamites, des Chinois. Les Français sont les maîtres mais le Viet-Minh n’est pas loin et enlève même l’un d’eux. L’inquiétude monte.
Ces coloniaux n’ont pas la vie facile ; mal payés dans un climat étouffant, beaucoup sombrent dans l’alcool ou l’opium. Quelques uns sont mariés à des compatriotes mais la plupart sont venus seuls de France. Alors bien sûr ils succombent vite aux avances expertes des Laotiennes pour qui vivre avec un blanc, même vieux et alcoolique, est une ascension.
La vie s’écoule, rythmée par la chaleur écrasante, les pluies, les crues du Mekong et le trafic d’opium qu’un malheureux douanier est censé juguler.
Lastin vit tout cela avec une aisance apparente, teinté d’un cynisme ombrageux, sans doute issu de son passé.
Avec « Tu récolteras la tempête », Jean Hougron a signé son premier livre, après plusieurs années passées en Indochine à la recherche de l’aventure. Il ouvrait ainsi son cycle de « La nuit indochinoise », grande saga exotique qui fit rêver toute une génération de lecteurs.
D’un style simple et alerte, il nous conte les joies et les misères de ces Français du bout du monde qui disparaissent progressivement.
Un beau roman colonial.
Rage blanche (La Nuit indochinoise, II), Domat, 1951

Legorn se trouvait à l’hôpital depuis trois mois quand on lui apprit que sa femme et son fils étaient morts au cours de l’attaque. Lui s’en était tiré avec une double fracture de la jambe et une balle dans le poumon. »
Nous sommes au Laos en 1949. Legorn est un fermier qui, après des années de travail acharné et d’échecs instructifs, a réussi. Ils sont peu parmi ces blancs installés au bout du monde. Le climat est terrible, les Laotiens d’une apparente indifférence, les métis hostiles.
Depuis peu, il y a le Viet-Minh en prime. La police estime que c’est lui qui a attaqué la famille Legorn sur la route.
Legorn n’y croit pas. Sa réussite a suscité des jalousies, sa froideur aussi. Il retourne dans son exploitation et reprend la main sans manifester le moindre découragement, malgré le pillage auquel s’est livré son intendant.
Parallèlement il mène une enquête minutieuse et ne laisse rien au hasard pour découvrir la vérité et venger les siens.
Rage blanche est le deuxième volume du cycle indochinois auquel Jean Hougron a consacré sa vie littéraire. L’histoire n’est pas la suite de « Tu récolteras la tempête » et peut se lire séparément.
Le lecteur retrouve avec bonheur cette capacité de l’auteur à restituer la moiteur accablante du climat, les crues incessantes du Mekong, les routes défoncées qu’il faut tout de même emprunter des heures durant. Il y a les hommes surtout : certains à la dérive, d’autres qui bâtissent des fortunes, beaucoup qui vivotent.
On lit d’une traite cette enquête si bien racontée.
Mort en fraude (La Nuit indochinoise, IV), Domat, 1953 (Grand Prix du roman de l'Académie française 1953)

Dans les années 1950, Horcier, un petit employé français entraîné dans un trafic de devises en Indochine, est poursuivi par des tueurs à Saigon. Il trouve refuge dans le village de Vinh-Bao, dans le territoire occupé par les rebelles communistes Viet-Minh. Horcier découvre les conditions de vie des habitants soumis à l'armée Viet-Minh : la famine, le pillage des récoltes de riz et la maladie. Il prend peu à peu parti pour ce peuple...
Les Portes de l'aventure (La Nuit indochinoise, V), , Domat, 1954

C’est un recueil de 3 nouvelles :
L’homme du kilomètre 53 : Retour au Laos pour cette nouvelle. Legras est chef de chantier sur la route Savannakhet – Thakkek et il a la responsabilité de son entretien, après l’avoir ouverte (la route !). La nature étant ce qu’elle est en Indochine, ce n’est pas un mince travail et implique pour Legras de vivre seul, expatrié, au milieu de nulle part dans les conditions les plus précaires.
Il est hors de lui un beau samedi lorsqu’il reçoit un message apporté par le camion postal hebdomadaire, de l’Ingénieur en Chef basé à Savannakhet, lui demandant de venir le rencontrer le samedi en question. 53 km de route délicate à se taper et, seul moyen de locomotion, en vélo.
Nous assistons donc au voyage de Legras en vélo jusqu’à Savannakhet, à son retour rapide puisque l’Ingénieur en Chef finalement est absent (!), toujours en vélo, avec quelques péripéties. Le tout assorti de considérations toujours éclairantes sur ce qu’était la mentalité et les conditions de vie des Français d’Indochine.
Pas simple tout de même la vie du colon de base !
Retour : Toujours évidemment en lien avec l’Indochine. Cette fois – ci, Jean Hougron traite d’un aspect qui n’a pas dû être si fréquent ; celui du retour volontaire une fois fortune faite, d’un Français qui s’est embarqué à 20 ans et qui revient 7 ans après retrouver sa dulcinée, qui l’a attendu, dans une toute petite ville de province.
Laffite était plutôt tête brûlée lorsqu’il était parti et le père de Françoise, notaire, ne voyait pas d’un œil serein les vues de Laffite sur sa fille. Il était donc content de le voir partir là d’où on ne revenait pas... souvent. Mais voilà, Laffite revient, riche...
Plus une nouvelle de mœurs qu’une nouvelle indochinoise.
Poulo – Condor : Vietnam ici (Poulo – Condor est un chapelet d’îles au sud du Delta du Mékong). C’aurait pu être un roman, Jean Hougron a dû juger qu’il n’avait la matière que pour une longue nouvelle...
Il y est question là de ce qui pouvait se raconter à l’époque entre Français, entre Français – métis ou indigènes. Se raconter et se déformer. Une histoire tel un western indochinois tant ce qui pouvait se dérouler à l’époque faisait de l’Indochine un espace où tout pouvait arriver. Où le Viet – Minh pouvait avoir bon dos, où l’occasion pouvait faire d’un soldat français un larron...
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Bref, en remplaçant opium et alcool par iboga et pastis, Mékong par fleuve Congo, Laotiens, Anamites, Chinois par Camerounais, Congolais ou Gabonnais, Viet Minh par rebelles toutes ces histoires pourraient se dérouler en Afrique Centrale dans un passé pas si lointain...
En prévision
· Les Asiates (La Nuit indochinoise, VI), Domat, 1954
· Soleil au ventre (La Nuit indochinoise, III), Domat, 1952
Les Neiges du Kilimandjaro d’Hemingway.

"Le Kilimandjaro est une montagne de neige, haute de 6021 mètres, et que l'on dit être la plus haute montagne d'Afrique. La cime ouest s'appelle le "Masai Ngaje Ngai", la Maison de Dieu. Tout près de la cime ouest il y a une carcasse gelée de léopard. Nul n'a expliqué ce que le léopard allait chercher à cette altitude."
De ce livre, a été tiré un film en 1952 . Ce fut aussi une chanson de Pascal Danel (1966) qui s’inspira de la première histoire de ce recueil. Dernièrement, un autre film a repris ce titre mais cette fois ci en référence à la chanson qui était un slow célèbre et sur lequel de nombreux couples se sont connus. Rien à voir avec l’Afrique.
C’est en fait un recueil de petites nouvelles inégales et très courtes.
Mais avec cet ensemble de nouvelles, considérées comme un tout, Hemingway montre quand même, de manière effacée, une palette variée des couleurs qui font la vie.
Seules 2 histoires parlent de l’Afrique :
- "Les neiges du Kilimandjaro" qui a donné son nom au livre et qui raconte les derniers jours d’un chasseur qui, en pleine brousse, vit ses derniers instants. Sa jambe, suite à une infection contractée par une éraflure, est atteinte de la gangrène. Il est avec sa femme et repasse les moments marquants de sa vie.
- "L’heure triomphale de Francis Macomber"
En Afrique, Francis Macomber et sa femme Margaret, un couple américain qui bat de l’aile, participent à un safari. Ils ont engagé le guide et chasseur professionnel Robert Wilson. Le récit s’amorce à la veillée, alors que ce jour-là, Macomber a fait preuve de lâcheté devant un lion blessé. Margot, sa femme, se moque de lui et ne lui épargne aucune humiliation. Elle passe la nuit avec le guide. Le lendemain, la chasse est consacrée au buffle d’Afrique. Macomber et Wilson en abattent trois. Deux buffles sont tués sur le coup, mais le premier touché n’est que blessé et se réfugie à couvert, dans la brousse. Mis en confiance par cette chasse fructueuse, Macomber accepte de traquer la bête avec l’aide de Wilson dans un contexte qui rappelle la situation de la veille avec le lion blessé...
Le style est propre à Hemingway et pour en comprendre les subtilités, il est préférable de lire au moins 2 fois le livre. Ce n’est qu’à la seconde lecture que j’ai commencé à apprécier.
Mais, à mon avis, on sent bien la plume du journaliste, différente de celle du bourlingueur comme Quémeneur qui a ‘galéré’ dans la brousse plusieurs années durant.
La façon de voir les personnes et les choses qui entourent le personnage principal est totalement différente. Par exemple, les Africains sont considérés, non pas comme des individus avec leur propre personnalité, mais plutôt comme faisant partie du décor. Il faut préciser que ce livre a été écrit en 1936.
L’escadron blanc de Joseph Peyré

Ce roman raconte une poursuite dans le Sahara d’une bande de pillards par un escadron de méharistes. Les paysages et les situations sont bien décrites, on s’y croirait.
Lorsque j’ai commencé à lire ce livre, je me suis dit, ça sent le vécu. Ce type a vécu de grandes aventures et les décrit parfaitement bien. Puis en cherchant d’autres informations, j’ai appris que Joseph Peyré n'a jamais connu le Sahara. C'est grâce à la documentation que lui a apportée son frère, médecin méhariste, qu'il a su décrire ce désert, en évitant les clichés rebattus des modes exotiques.
Dans le portrait féminin, Peyré nous fait découvrir les "Petites épouses", dont la plupart ont moins de quinze ans et dont le mariage temporaire se fait devant le taleb (le lettré). Elles portent souvent des sobriquets attendris ou comiques. Il évoque aussi les prostituées, généralement issues de cette tribu des Ouled-Nails qui fournit guerriers farouches et danseuses faciles. Les personnages masculins de Peyré sont souvent les obscurs, les sans-grades et les vieux sous-officiers, blanchis sous le baudrier rouge. Tous, alliés ou ennemis, sont animés par un idéal, un but, enfermés dans un quotidien fait de fatigues et de souffrances surmontées. Il met en scène des hommes qui assument, méharistes "chevaliers du désert" ou touareg "hommes du voile". Il navigue très à l'aise au milieu des nombreuses tribus, de leurs paysages, des objets dont ils se servent.
Dans le même style, il a écrit la légende du Goumier Saïd.
Le roi de Kahel de Tierno Monénembo.

Aimé Olivier de Sanderval
Tierno Monénembo y décrit l'épopée africaine de l'aventurier lyonnais Aimé Olivier de Sanderval (1840-1919) qui ayant acquis de vastes terres sur le plateau de Kahel, en territoire Peul, tenta d'y édifier un royaume. L'action se déroule entre 1879 et 1919. En 1879, la France a déjà un pied en Afrique, elle occupe le Sénégal, tandis qu'une colonie portugaise s'est installée en Guinée-Bissau et que le Royaume-Uni tente d'asseoir son influence dans la région.
Sanderval a pour ambition de prendre possession pour lui-même et accessoirement pour la France de ce territoire. On le suit durant son expédition africaine, sa rencontre avec l'almâmi, son retour en France où il tente de faire valider ses traités. De retour au Fouta-Djalon, il brigue et obtient un terrain de 20 km de long en plein centre du Fouta Djalon : le Royaume de Kahel qu'il exploite et dans lequel il bat monnaie. Il en est chassé par les Français lorsque ceux-ci finissent par conquérir la Fouta-Djalon.
J’ai hésité à acheter ce livre car j’avais peur, qu’une fois de plus, il soit bourré de stéréotypes. Les méchants blancs contre les pauvres africains.
Mais finalement, après quelques pages mon avis a totalement changé. Tierno Monénembo décrit avec une certaine justesse les événements et la vie des différents protagonistes. Il s’est inspiré d’archives. On retrouve une réalité historique que l’on a pu lire dans ‘Sous le casque blanc’ de Roland d’Orgeles, mais racontée sous une autre forme.
L'auteur a su décrire les qualités et les défauts aussi bien des Peulhs que des Français.
Bien que romancé, la ligne générale correspond à ce que l’histoire nous enseigne. Un livre à lire pour le lecteur qui souhaite connaître un pan caché de notre histoire coloniale. Il y eut aussi à cette époque de vrais explorateurs idéalistes comme René Caillet, Treich- Laplène et même Savorgnan de Brazza qui s’insurgèrent contre les méthodes colonialistes de certains individus. Ceux-ci cherchèrent plutôt un partenariat et non une colonisation avec les peuples autochtones.
Il existe encore à Conakry un quartier appelé Sandervalia (Chez Sanderval en Sossou) sur la presqu’île de Kaloum. On peut même y voir la case de Sanderval.
Un Week end à Conakry de Jean Seignard.

Le trésor que le pirate Crawford a enfoui à Matakong, une petite île au sud de Conakry, existe certainement et, à coup sûr, Jean-Marie le Corre, le solide marin, retournera le chercher avec son bateau, La Reine des Flots, et son équipage de gars triés sur le volet.
Ils vont se trouver confrontés au monde absurde et sanguinaire de Sékou Touré, et devront participer bien malgré eux à l'action de commando que les Portugais ont menée avec succès, en novembre 1970, pour récupérer leurs compatriotes prisonniers.
J.S Quémeneur (Pseudonyme de Jean Seignard) est né à Vannes dans le Morbihan.
Après des études supérieures et à l'école navale de la France libre en 1943, il passe plusieurs années dans la marine. Il vit ensuite quelques années en Guinée avant de revenir en France après la décolonisation.
Sous son nom de plume, il écrit des romans policiers historiques dont l'action se situe en Guinée lors de la période précédant l’indépendance de ce pays en 1958. Leurs différents protagonistes sont des aventuriers et de petits trafiquants français, souvent d’origine bretonne. Ils s'opposent aux policiers et aux membres du Rassemblement démocratique africain.
Ces romans se passent à Conakry mais aussi à Kankan, Kindia, Dabola et sur la route entre Siguiri et Conakry car Jean Seignard est tour à tour transporteur au volant de son Citroen T45, administratif véreux ou chercheur de trésor. Tous le monde en prend pour son grade : Les Libanais, les Syriens, les Français, les Guinéens...personne n’est épargné.

Citroën T45
Il a écrit 4 romans en plus de "Un week end à Conakry". Ci-dessous les titres suivis de la présentation inscrite sur la dernière page des livres.
* A la santé d’Adolphe : Le meilleur à mon avis. Ca se passe sur les routes Guinéennes. Pour le lecteur qui les a parcourues, on s’y croirait. Un vrai road trip à l'Africaine.
Mais que diable suis-je aller faire en Afrique? J'y cherchais la considération et la fortune, et j'y ai trouvé les caïmans, les sangsues, le paludisme, et la cloche.
Une fois, j'ai cru avoir de la chance : le jour où j'ai découvert cette valise pleine de billets verts à l'effigie d'un barbu américain. Mais pour le tintouin que ça m'a rapporté, j'aurais aussi bien pu me faire missionnaire!
* La complainte du broussard.
En France, on serait un pauvre type, un prolo, un gagne-petit. Tandis qu'en Afrique Noire, on se fait de l'argent, on est un chef, on a même des larbins, c'est la grande vie! D'autant plus que l'Afrique, c'est le pays idéal pour se faire du boni en escroquant la Compagnie.
Mais quand votre larbin vous vole l'argent qu'on avait pris tant de mal à détourner... Et allez donc retrouver votre bas de laine dans la brousse. Sale pays!
* La grande godille
Il buvait ses cinq litres par jour, mais on ne pouvait pas dire que ce fût un ivrogne. Il détestait les Noirs, mais il n'était pas raciste, loin de là! Il était malin comme un singe, connaissait la côte d'Afrique comme sa poche, et quand on lui révéla l'existence, sur l'île de Matakong, d'un fabuleux trésor planqué par un ancien forban anglais, il n'hésita pas. En bon Breton, il fonça. À la godille!
* Les coups pour rien
Quelle journée! Iancovitch volatilisé et son Ford incendié ; Samboulina assassiné et, pour comble, Henri qui meurt, empoisonné dans mon propre camion! Le gendarme à qui j'explique mon affaire me demande : "Au fait, Henri ne vous a rien dit, avant de mourir?" Camenfort me pose la même question et ajoute : "Allons, allons, on sait bien que tu fais du trafic d'armes!" J'aurais dû leur prouver que je n'étais pas dans le coup. Mais j'ai préféré ruser, louvoyer. Ils en ont déduit que j'étais dangereux, l'ennemi public numéro un, l'homme à abattre...
Quémeneur signe des romans d'une forte originalité que Claude Mesplède apprécie de la façon suivante : « Quand on connaît le manichéisme de l'époque, on remarque vite ce regard avant-gardiste et franc-tireur. Ce breton libertaire a disparu de la Série noire. Dommage ! Son humour noir et cynique, sa description fine de l’Afrique en voie de décolonisation, sa rigueur et sa couleur de plume ont bien rehaussé la production française de cette période. »
En attendant le vote des bêtes sauvages d’Ahmadou Kourouma
Ahmadou Kourouma est mon auteur africain préféré.
A la différence de Tierno Monénembo qui est Peulh il est Malinké. Ce sont les deux ethnies principales de la Guinée Conakry.
Ce livre est conseillé au lecteur qui souhaite avoir une connaissance assez juste des chefs d’états africains après les indépendances. En s’inspirant de la tradition des contes africains, l’auteur dresse, par la grâce d’une langue chatoyante et d’un humour caustique, une flamboyante satire des dictatures africaines. Le personnage principal s’appelle Koyaga mais les connaisseurs reconnaitront Gnasymbé Eyadema, l’ancien président du Togo. La Guinée devient la république des Monts et Sékou Touré s’appelle Nkoutigi Fondio. Le Zaïre s’appelle la République du Grand Fleuve, Mobutu est l’homme au totem léopard et Patrice Lumumba devient Pace Humba. Ils parle aussi du Pays des Djebels que l’on pourra identifier comme étant le Maroc.
La plupart des anecdotes sont inspirées de fait réels.

Présentation:
Le président Koyaga est un maître chasseur… et un dictateur de la pire espèce. Au cours d’une cérémonie purificatoire en six veillées, un griot des chasseurs et son répondeur lui racontent sa propre vie, toute sa vie, sans omettre les parts d’ombre et de sang. Koyaga est né dans la tribu des hommes nus. Il a fait la guerre d’Indochine. Puis il a pris la tête de la République du Golfe en usant de la sorcellerie et de l’assassinat. Accompagné de son âme damnée Maclédio, qui a vu en lui son homme de destin, il a parcouru l’Afrique de la guerre froide, prenant des leçons auprès de ses collègues en despotisme. On n’aura guère de peine à reconnaître au passage Houphouët-Boigny, Sékou Touré, Bokassa, Mobutu… pour ne parler que des non-vivants. De retour chez lui, grâce aux pouvoirs merveilleux que lui confèrent la météorite de sa maman et le Coran de son marabout, il triomphe de tous ses ennemis, déjoue tous les complots. Jusqu’au jour de la dernière conjuration où, s’étant fait passer pour mort, il perd la trace de la maman et du marabout…
Avec un humour ravageur et une singulière puissance d’évocation, le récit mêle hommes et bêtes sauvages dans une lutte féroce, allie le conte à la chronique historique et renverse nombre d’idées reçues sur les relations étroites qu’entretiennent la magie et la politique mondiale.
Ahmadou Kourouma est aussi l’auteur de ‘Allah n’est pas obligé’. Ce roman est une fois de plus inspiré de faits réels. L’action se déroule durant la guerre que le Libéria a connu à partir de 1992. C’est l’histoire d’enfants soldats, de la folie pure dans la lignée du film «Johnny mad dog».
Présentation:
Birahima a une douzaine d’années et vit à Togobala, en Côte d'Ivoire. C’est un enfant des rues comme il le dit lui-même, « un enfant de la rue sans peur ni reproche ». Après la mort de sa mère, on lui conseille d’aller retrouver sa tante au Liberia. Personne ne se dévoue pour l’accompagner mis à part Yacouba « le bandit boiteux, le multiplicateur des billets de banque, le féticheur musulman ». Les voilà donc sur la route du Liberia. Très vite, ils se font enrôler dans différentes factions, où Birahima devient enfant soldat avec tout ce que cela entraîne : drogue, meurtres, viols… Yacouba arrive facilement à se faire une place de féticheur auprès des bandits, très croyants. D'aventures en aventures, Birahima et Yacouba vont traverser la Guinée, la Sierra Leone, le Liberia et enfin la Côte d'Ivoire.
En fin pédagogue, Ahmadou Kourouma délivre un message hautement politique » : “Quand on dit qu’il y a guerre tribale dans un pays, ça signifie que des bandits de grand chemin se sont partagé le pays. Ils se sont partagé la richesse ; ils se sont partagé le territoire ; ils se sont partagé les hommes. Ils se sont partagé tout et tout et tout le monde entier les laisse faire. Tout le monde les laisse tuer librement les innocents, les enfants et les femmes.”
Citations :
1- «A Zorzor, le colonel Papa le bon avait le droit de vie et de mort sur tous les habitants. Il était le chef de la ville et de la région et surtout le coq de la ville. A faforo! Walahé» (au nom d'Allah)! (chapitre II)
2- «On releva les morts. Beaucoup de morts. Malgré les fétiches musulmans et chrétiens, quatre enfants-soldats furent disloqués, dispersés par les obus. Ils étaient plus que morts, deux fois morts. Leurs restes furent enfouis dans la fosse commune avec les morts. Au moment de fermer la fosse commune, Johnson a pleuré. C'était marrant de voir un bandit de grand chemin, un criminel comme Johnson, pleurer à chaudes larmes tellement, tellement il était en colère contre ECOMOG. Il a revêtu l'habit de moine pour l'occasion et il a prié et il a parlé. Il a dit comme la sainte Marie-Béatrice que les enfants-soldats étaient les enfants du bon Dieu. Dieu les avait donnés, Dieu les a repris. Dieu n'est pas obligé d'être toujours juste. Merci bon Dieu. Cela valait une oraison funèbre, cela me dispensait de faire une oraison funèbre dont je n'ai pas envie. Oui, merci bon Dieu.»(chapitre IV)
Kourouma évoque Prince Johnson, homme politique sanguinaire et allié, au début, de Charles Taylor.
L’ECOMOG est la force d’interposition Ouest Africaine qui était composée essentiellement de militaires Nigérians.
3- «C'est pourquoi on dit, tout le monde dit que le cœur de sœur Aminata Gabrielle, colonel de l'armée Sierraléonaise, a servi comme dessert délicat et délicieux d'une fin de fête bien arrosée. (Repas bien arrosé signifie repas au cours duquel on a bu beaucoup de bière de mil.) Faforo! Gnamokodé!» (chapitre V)
- L’auteur évoque le cannibalisme rituel fréquent lors de cette guerre.
- Faforo et Gnamokodé (Jurons Malinkés resp. Sex du père et bâtard.)
(A suivre)