Nour - Deen Customs
Un jour que j'étais en voyage à Cotonou au Bénin, j'étais descendu à l'hotel du Lac.
Je flanais aux alentours lorsque mon regard fut attiré par un custom de petite cylindrée.
J'essayais d'en deviner la marque mais sans succés. La machine était garée devant un magasin dont les vitres teintés rendaient difficile la vision des objets à l'intérieur. Cependant, quelques reflets attirérent mon attention. J'y pénétrais.
Dans une grande pièce décorée très "seventies" étaient entreposées des Harleys et autres customs.
Je n'apprécie pas particulièrement les Harleys mais un tel endroit est assez surprenant en Afrique. Il y avait aussi un coin atelier et un comptoir.
Je fis alors la connaissance de Nourou Deen, le propriétaire des lieux.
Il m'expliqua qu'il achetait des motos aux USA et les faisait venir par container au Bénin.
Son truc, c'était les Harleys mais il avait aussi d'autres marques.
Je remarquai alors de très belles pièces et en particulier une Triumph Bonnie (Bonneville) modèle America de 2002. Elle était en vente à environ 4000 Euros pour seulement une dizaine de milliers de km au compteur. Malheureusement, je n'avais pas les fonds disponibles dans l'immédiat.
Je lui montrais des photos de mes différentes motos.
"J'ai remarqué que tu aimes les BMW 'Old School' " me dit il.
"Yes, oeuf corse" lui répondis je avec l'accent.
"Alors dimanche, je vais te montrer quelque chose que tu apprécieras".
Sur ce, nous nous séparâmes.
Le dimanche suivant, il vint me chercher et après avoir passé la soirée au yatch club nous allâmes chez lui.
Et là surprise......
La forme est restée très proche de la machine d'origine. Par contre le moteur a subi d'importantes modifications. Le moteur à soupapes latérales des premiers modèles est remplacé par un moteur à soupapes en tête
.....une BMW R71 attelée de l'armée allemande.
Mais comment était elle arrivée là ?
En fait, ce n'était pas une R71 allemande mais une copie chinoise.
Un peu d'histoire
La BMW R71
Dans sa course à l'armement d'avant guerre, l'Allemagne nazie se dote (entre autres véhicules), de motocyclettes attelées. En effet, facile à produire, peu cher à entretenir, doué sur tous les terrains, le side-car est d'une grande utilité pour les armées d'alors. Sa mobilité et ses facilités de portage - personnel, armement, approvisionnement- ne tarde pas à susciter des convoitises,notamment de la part de son voisin, le géant soviétique, bien mal équipé en moyens de transport légers et qui voit avec inquiétude la militarisation croissante de l'Allemagne ainsi que ses appétits de conquêtes.
Aussi en 1939, dans le plus grand secret, et par le biais d'intermédiaires suédois, les russes acquièrent plusieurs attelages et procèdent à du "reverse engineering". Autrement-dit, ils les démontent pour en copier les éléments et les reproduire à l'identique..
Enfin ça c'est la version officielle… On dit également que la maîtrise de la construction de cette machine (plans, savoir-faire) et jusqu'à l'outillage sont volontairement transmis aux russes, par leur ami Allemand, dans le cadre d'accords industriels et commerciaux qui agrémentent le pacte Germano-soviétique de l'été 1939. D'ailleurs, le premier véhicule produit aurait bien été la "M71" M pour "Moscou" et 71.... selon les spécifications du catalogue BMW !
Par ailleurs, les Allemands travaillent déjà sur la BMW R75 et finalement la R71 dont elle fait "don" à la Russie n'est qu'une technologie dépassée (c'est le dernier modèle à soupapes latérales de BMW) présentée comme un cadeau de valeur... (d'ailleurs, elle ne fut jamais un véhicule réglementaire de la Wehrmacht).
Quoiqu'il en soit, ce nouveau véhicule est baptisé M72 et est fabriqué sur deux sites : Moscou et Léningrad.
Depuis ses origines, l'immense République Populaire de Chine a un besoin cruel de toutes sortes de moyens de transports pour ses administrations et populations. Elle s'essaie à la copie de Zündapp KS600, puis, alors que les modèles à moteurs culbutés sortent désormais des chaînes de fabrication, aussi bien à Irbit qu'à Kiev, l'URSS cède ses vieux équipements à son allié Chinois, ainsi qu'une aide technologique pour la mise en production.
Après, semble t'il, bien des vicissitudes, la Chine parvient en 1961 à fabriquer sa propre version de la BMW R71 - pardon - de la M72 sur son site de NanChang.
la nouvelle moto n'a pas de nom, alors on lui donne le nom du plus long fleuve de Chine : Chang-Jiang ( ou XiangJiang..., chez nous "Yangtsé").
A partir de ce modèle de base, les évolutions (souvent "inspirées" par ce qui se fait sur les BMW plus modernes) amènent à une machine - sinon originale- réellement différente de celle de son voisin russe.
Sachant qu'à l'époque de Kérékou, le Dahomey devenu Bénin était sous influence Marxiste, de nombreuses machines chinoises et russes furent envoyées dans le cadre de la coopération.
Vers fin 2015, lorsque je suis passé au magasin, la restauration était terminée et la machine mise en vente à environ 3000 Euros.